Retour sur le dernier M/V de Mokyo et plus précisément sur une interprétation possible des paroles et du sens des images.
Attention, ce n’est qu’une interprétation personnelle de l’œuvre, une des façons de l’aborder !
Cet article comporte également des références à de la violence physique, à la mort et au suicide, je ne vous recommande pas de le lire si ce sont des sujets sensibles pour vous.
Un Artiste à l’univers intimiste
Mokyo est décidément talentueux et intrigant, après le très touchant Something dédié à sa mère dont nous avons parlé la semaine dernière, l’artiste nous livre une nouvelle œuvre intense dans un tout autre registre.
Musicalement parlant, on est encore sur un genre un peu hybride, qui pourrait presque être comparé à de la Pop/Rock/Folk indépendante anglaise dans la sonorité, mais honnêtement cet aspect n’a que peu d’importance face à ce que nous livre Mokyo.
C’est un peu délicat de ne pas faire d’assomption en parlant de ce morceau puisque s’il est dédié aux gens souffrant de violences domestiques (Dans la description du M/V on peut lire « This is for people suffering from domestic violence »), le titre n’est autre que Daddy.
D’autant plus quand on prend en compte le fait que Something était déjà sur un registre très personnel. Ainsi, s’il s’avère que le morceau est bien une sorte de catharsis pour l’artiste face à un dur contexte familial, on pourra alors relever l’ironie, le ton sarcastique, le dédain qu’il y a derrière le titre, puisque Daddy est plutôt un terme affectueux, comparé à Dad qui est plus neutre. Face à un père violent, l’appellation Daddy peut être vue comme un moyen de maintenir les faux semblants d’une mascarade familiale, faire comme si cette violence n’existait pas par un excès de zèle.
Et de fait, les paroles sont très explicites, leur sens prenant une tournure d’autant plus forte lorsque l’on réalise la réalité que dépeint Mokyo.
Une réalité acerbe…
On retrouve cette métaphore courante du jeu, pour la personne à l’origine de la violence, c’est presque un jeu qu’elle mène, pour elle cette situation cruelle peut être un plaisir, mais comme le rappelle Mokyo, comme dans la majorité des jeux, il faut souvent être à plusieurs pour jouer, et la victime prise dans ce jeu contre son grès préférerait le perdre, le perdre pour que la partie prenne fin.
« Your Attitude makes everything turn its back on you, A game ever so cruel I would rather lose »
Ton attitude repousse tout ce qui t’entoure/Tout ce qui t’entoure te tournent le dos à cause de ton attitude, un jeu si cruel que je préférerai perdre.
Mais la violence n’est jamais uniquement physique dans l’abus, et c’est ce qu’il semble exprimer avec les paroles qui suivent
« Saying f*ck your name, Saying you’re to blame, Saying run away, You wouldn’t make it”
Cette série de phrase est délicate à traduire car si son sens est plutôt simple, elle peut être abordée sous au moins deux perspectives.
« Insultant ton nom, se dire que tu es à blâmer, se dire de fuir, que tu n’y parviendras/n’y survivras pas »
Au début on pourrait penser que le protagoniste s’adresse à l’agresseur, mais avec les deux derniers vers on peut aussi se dire qu’en réalité le protagoniste se parle à lui-même, où que Mokyo s’adresse directement à la victime par exemple. Dans ce cas on peut alors voir dans le « Saying f*ck your name, Saying you’re to blame » une haine de soi, haine de soi qui a justement été induite par la violence.
La violence est tellement insoutenable et injustifiée que la victime en arrive à se détester et à se culpabiliser, elle se met à penser que c’est elle-même qui a induit la violence, qu’elle est la seule fautive, qu’elle le mérite presque.
…. Sur fond macabre
La suite est plus complexe à analyser.
« They always gave a safe place to stay, They elevate, So I celebrate”
“Ils donnent toujours un endroit sûr, ils élèvent (dans le sens rendent meilleur.e), donc je célèbre (cela) »
Quand il dit « Ils donnent toujours un endroit sûr, … » on peut penser que Mokyo parlent des parents, c’est un lieu-commun, et comme pour le « Daddy », le « So I celebrate » peut éventuellement être vu comme une réflexion cynique de l’artiste.
Un peu du genre « La société me dit que les parents sont censés incarner un lieu sûr, alors célébrons cela, célébrons cela puisque la société le dit, si elle le dit c’est donc que cela doit être vrai ».
Puis, je dois reconnaître que je ne sais pas quoi penser du:
« Feeling like the World’s a-dorable ! A breeze of friendly wind blows ».
Déjà je n’arrive pas à savoir si « World« , donc « le monde« , est sujet, et donc si l’on traduit cette phrase par « Se sentir comme si le monde était adorable » ou si c’est un génitif et auquel cas cela signifierait grossièrement « Se sentir comme l’adorable du monde » (ce qui fait plutôt moyennement sens, du moins je crois).
Puis vient le « Il souffle une brise de vent amical », et aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’est pas impossible que cette phrase puisse également être vu comme une métaphore de la violence domestique.
Si en anglais pour dire le vent souffle on va dire « The wind blows » on va également dire « a blow » pour un coup. Et c’est surtout l’insistance du friendly wind/vent amical qui pourrait laisser croire cela, cela pourrait un peu rappeler la violence passionnelle, une justification/déculpabilisation de l’acte par l’agresseur. « Si je fais cela, au fond, c’est pour ton bien ».
D’autant plus avec la métaphore très explicite qui suit après
« In my eyes, Like the rain, Now My Life, Is all in red ».
“A mes yeux, comme la pluie, maintenant ma vie, est tout en rouge”
Sauf que c’est bien des gouttes de sang qui coulent sur la nuque de Mokyo à 1.17min ou 2.33min quand il chante ces paroles.
On peut aussi voir cette description comme un état de grâce finale, à force de recevoir des coups, la victime tombe dans un état d’engourdissement, le monde en devient doux, accueillant, comme une douce chaleur d’été, mais la dernière chose que la victime voit, c’est bien du rouge….
Une haine dévorante
A partir de 1.20min, Mokyo reprend plus ou moins les mêmes paroles, mais avec néanmoins quelques nuances qui cristallisent bien toute l’ambivalence et la cruauté de la réalité que peut prendre la violence domestique.
De la haine, c’est l’un des sentiments que peut ressentir la victime envers l’auteur de l’abus, une haine telle qu’elle peut se muer en en désir de voir l’agresseur à son tour souffrir, souffrir voire enfin disparaître.
“Go off and die motherf**ker, I won’t miss you, Not once in my life You were someone to cling to”
« Vas te faire foutre et meurt enfoiré, tu ne me manqueras pas, pas une seule fois dans ma vie je ne t’ai considéré comme/tu n’as été quelqu’un à qui se raccrocher. »
Le morceau se concluant même sur une litanie de « I want you die right now », soit « Je veux que tu meurs là de suite/maintenant« , et on peut également voir cela dans le plan à 3.13min, dans l’acte de bruler une photo/vidéo qui semble représenter le père.
Sauf qu’au moment de scander le dernier, Mokyo finit abruptement sur un « I want you. », comme s’il n’avait pas le temps de terminer sa phrase, qu’il était coupé. Et c’est sur ces paroles qu’on le voit marcher avec conviction dans l’eau, un trou béant dans le torse qu’il avait déjà alors même qu’il sortait d’un cimetière au début du M/V, puis tomber, tête la première, avec une auréole sans équivoque qui apparaît.
Or si ce M/V est incontestablement rythmé par une imagerie de la mort avec un cimetière, des corbeaux, du sang etc. Plus que la mort, il est indéniable que le suicide y est aussi abordé.
Un final amer
Déjà, les moutons que l’on peut voir à 1.55min et par deux fois par la suite dans le M/V peuvent renvoyer à une certaine image du rite sacrificiel, peut-être pas jusqu’à y voir une référence à la Genèse, à Abraham et au sacrifice de son fils Isaac. Néanmoins, en termes de symbolique, le mouton est communément utilisé pour signifier la pureté, l’innocence ; chez les chrétiens, il symbolise le Christ qui s’est sacrifié pour l’humanité par exemple.
Et ce sentiment de pureté on le retrouve également dans l’avant dernier acte du morceau, avec une autre litanie mais cette fois de « Rise and Shine, Bright out, But I could die right now » que l’on pourrait traduire par « Elève toi et brille, brille intensément, mais je pourrais mourir à cet instant même ».
La victime ne demande qu’à briller, s’accomplir, se libérer de cette situation, mais elle est rattrapée par une réalité cruelle, une peur constante.
Et aussi, et cette fois ce sont les images qui parlent, il semble que le seul moyen d’enfin accéder à la liberté soit alors de mettre soi-même fin à la violence, par le suicide.
On peut voir ici une représentation romantique du suicide, surtout à partir de 3.29, le plan avec les ailes déjà, puis celui sur l’inscription « Peace », donc paix, comme si la mort était le seul moyen d’obtenir la paix et encore une fois, cette séquence finale où Mokyo avance avec conviction pour s’échouer dans l’eau et mourir.